Jacques Le Roux

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Soutine et de Kooning au Musée de l’Orangerie

La dernière salle de l’exposition : les peintures des années 1970 de Willem de Kooning

Exaltation sensorielle et intellectuelle au Musée de l’Orangerie avec l’exposition Chaïm Soutine/Willem de Kooning, la peinture incarnée qui nous permet de redécouvrir la puissance - et la beauté - de l’oeuvre des deux artistes dans le contexte d’une passionnante réflexion sur tout un pan de l’histoire de l’art moderne. La démonstration est magistrale.

Deux artistes, deux déracinés volontaires, le biélorusse Soutine (1893-1943) et le néerlandais De Kooning (1904-1997), qui en sont venus à incarner de leur vivant la vitalité collective des villes dans lesquelles ils avaient fait le choix de s’installer pour travailler : celle de l’École de Paris pour le premier, de l’École de New-York pour le second. Soutine n’aura jamais connu l’existence de De Kooning mais De Kooning, lui, était « fou de Soutine - de toutes ses peintures » : sa visite de la rétrospective mémorable du peintre au MoMA en 1950 l’avait conforté dans l’orientation de ses propres recherches picturales du moment, la saisissante série des Woman.

L’exposition de L’Orangerie présente en cinq salles, plus que les rapprochements visuels évidents entre les deux peintres - et c’est ça qui fait l’intelligence de l’accrochage et du parcours proposé au visiteur - un cheminement avec De Kooning dans l’évolution de son regard sur la peinture de Soutine, qui était à peine son aîné, et de l’impact déterminant que celle-ci à pu avoir sur lui : Soutine s’y révèle à nouveau à nous… à travers les yeux de De Kooning.

La deuxième salle de l’exposition : l’évocation de la rétrospective Soutine au MoMA en 1950

La matière plutôt que la forme, le sujet plutôt que le portrait, le geste plutôt que la pensée : chacun de leur côté de l’Atlantique et dans des durées respectives de carrière sans comparaison, Soutine et De Kooning ont bousculé les codes de la peinture figurative jusque dans ses retranchements les plus déstabilisants pour leur époque, assénant un message clair : la pâte est vivante et la peinture est chair.

En une quarantaine de tableaux - et une sculpture pour De Kooning -, on comprend avec l’exposition que la violence organique des oeuvres de l’un comme de l’autre procède de cette autonomie de la peinture qu’ils ont laissé s’exprimer par un travail du geste, de la pâte et de la couleur toujours à la crête entre figuration et abstraction, entre maîtrise et folie. Soutine a tragiquement disparu en 1943 dans la panique de la maladie et de la guerre. De Kooning, lui, a atteint la fin du XXème siècle, s’est battu contre l’alcool et la démence mais, dans ses grandes toiles des années 70 présentées dans la dernière salle, on sent l’irradiation d’un apaisement solaire.

Chaïm Soutine est un artiste sans doute négligé aujourd’hui, souffrant d’une image « École de Paris » un peu naphtalinée. Quant à Willem de Kooning, il n’avait pas fait l’objet d’une exposition à Paris depuis les années… 1980. Leur rencontre au Musée de l’Orangerie est une révélation et un cadeau.

Votre visiteur devant la “Marilyn Monroe” de De Kooning

Mes 7 stations de l’exposition :

Queen of Hearts (De Kooning, 1943-1946 / Hirschorn Museum and Sculpture Garden, Washington DC)

L’Homme au Manteau Vert (Soutine, 1921, MoMA, New York)

Le Boeuf Ecorché (Soutine, 1925, Musée de Grenoble)

Woman II (De Kooning, 1952, MoMA, New York)

Femme Entrant dans l’Eau (Soutine, 1931, MAGMA, London)

Marilyn Monroe (De Kooning, 1954, Neuberger Museum of Art, Purchase, NY)

Lumière de l’Atlantique Nord (De Kooning, 1977, Stedelijk Museum Amsterdam)


Chaïm Soutine / Willem de Kooning, la peinture incarnée

Musée de l’Orangerie, Paris

du 15 septembre 2021 au 10 janvier 2022

Le texte ci-dessus ne reflète que mon avis personnel