Jacques Le Roux

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Pierre de pluie

Il y a dans la Galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée du Muséum national d’Histoire naturelle une des choses les plus étonnantes qu’on puisse trouver à Paris. Une pierre ancienne, très ancienne. Dans sa vitrine vieillotte sur le mur gauche de la vaste salle du 1er étage, à côté du Carnosaure et du Diplodocus, évidemment elle ne fait pas le poids et presque personne ne la remarque. Quelles histoires pourtant elle aurait à raconter : elle a près de 300 millions d’années, le double de ses voisins dinosaures.

La pierre de pluie du Museum National d’Histoire Naturelle

Le bloc n’est pas grand mais pas petit non plus, environ 40 cm de haut dans sa présentation actuelle. Partout sur sa surface, des trous qui ressemblent assez aux cratères de la Lune. Ce sont des traces d’impacts aussi, la comparaison tient. Ces cupules ne sont pas des souvenirs de météorites comme là-haut mais la mémoire fossile d’une averse tombée dans ce qui est aujourd’hui l’Hérault, à Lodève exactement. Il y a donc 3 millions de siècles.

Voilà comment ça a dû se passer. La Terre d’alors était bien différente de la nôtre. La France était en Pangée, un supercontinent qui contenait en gros l’Europe, le Groenland et l’Amérique du Nord*. Elle était à la limite d’une ligne de fracture en train de se créer avec l’autre supercontinent, plus grand encore, le Gondwana, qui lui englobait l’Afrique, l’Inde, l’Antarctique, l’Australie et l’Amérique du Sud. Les plaques tectoniques ont voyagé depuis et Lodève était sans doute à des milliers de kilomètres d’où elle est aujourd’hui. Cette période géologique, c’est le Permien. Une fenêtre de 50 millions d’années qui va d’environ - 300 millions à - 250 millions, la toute dernière du Paléozoïque. La plus grande extinction que la Terre ait jamais connue - à ce jour - allait d’ailleurs avoir lieu à la fin du Permien quand plus de 90% des espèces animales et végétales ont disparu suite à une méga-éruption volcanique du côté de l’Inde actuelle et au changement climatique qui a suivi. Mais à l’époque de notre averse, le Permien vient de commencer et on est encore très loin de la catastrophe.

* Et en écrivant ceci, je me demande soudain si ce n’est pas la Pangée que President Trump veut reconstituer. Européens, accrochons-nous !

Les synapsides des débuts du Permien qui dominaient le Monde quand il a plu (Visuel : DBGID, Deviant Art)

Les animaux de l’époque, qui devaient infester les paysages humides, froids la nuit et très chauds dans la journée, ne sont pas des dinosaures même si on peut s’y tromper. Ces créatures sont des synapsides, des reptiles dont certains ont en effet évolué en dinosaures mais dont d’autres - les amniotes - ont mené aux mammifères. Le plus connu - et le plus grand - d’entre eux était Dimetrodon avec sa voile dorsale irriguée de veines à capter la chaleur. Lui était un proto-mammifère. Les dinosaures ne sont arrivés que 50 millions d’années plus tard, après la Grande Extinction Permien/Trias.

Depuis l’abîme du Temps : des gouttes de pluie comme des cratères de Lune

Mais revenons à nos dimetrodons. Il y a donc 295 millions d’années, un bref orage a eu lieu dans un petit coin français de la Pangée et des gouttes de pluie sont tombées sur de la vase qui bordait l’eau d’un marais. L’averse n’a pas duré longtemps du tout, à peine quelques instants, car les impacts des gouttes n’ont pas eu le temps de se fondre ensemble en une boue. Puis très vite, le soleil est revenu et a séché la vase criblée, qui s’est solidifiée. Un peu plus tard, une montée des eaux du marais a submergé la rive et recouvert l’empreinte séchée aux gouttes de pluie. La boue déposée a durci à son tour, scellant définitivement les traces du vieil orage. Le Temps a fait le reste et on a retrouvé tout cela fossilisé à Lodève, en 1927. De la pluie en pierre métamorphosée.

Regarder et ressentir cette pierre de pluie dans la vitrine du Muséum est très émouvant. Que le souvenir d’une courte averse tombée il y a des centaines de millions d’années - la plus éphémère des choses qu’on puisse imaginer - soit parvenu jusqu’à nous est d’une poésie absolue. Et dans une étrange sensation, on se sent un peu au volant de la Machine à explorer le Temps du voyageur d’H.G. Wells. Rêve de gosse.

Averse d’orage il y a 295 millions d’années à Lodève, Hérault (visuel : DALL-E, 2025)

Personne n’a vu le paysage sur lequel l’orage a éclaté là-bas alors j’ai demandé à DALL-E d’en créer une virtualisation : “Paysage de marais du Permien avec orage”. Et voilà l’image que l’intelligence artistique artificielle d’OpenAI a conçu pour illustrer ce billet. Un moment, un lieu et une atmosphère qui ressemblent peut-être à ceux qui ont permis, il y a 3 millions de siècles, à la pierre de pluie du Museum d’Histoire naturelle de se former dans la vase. Mais les bestioles me direz-vous ? Je n’en ai pas demandé dans mon prompt car il n’y a aucune trace de pas sur la pierre du Muséum : au contraire des nôtres, les crapauds du Permien n’aimaient-ils pas la pluie ?

Galerie de paléontologie et d’Anatomie comparée

Muséum national d’Histoire naturelle, 75005, Paris

Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10:00 à 18:00

Le texte ci-dessus ne reflète que mon avis personnel