Jacques Le Roux

View Original

Ilya Répine au Petit Palais

S’il est une gloire nationale en Russie où quelques-uns de ses tableaux - Les Haleurs de la Volga - sont de véritables Jocondes, Ilya Répine (1844-1930) reste méconnu en Europe occidentale, ses originaux étant loin, accrochés sur les cimaises des musées de Moscou et de Saint-Petersbourg. Réparation faite avec l’exposition du Petit Palais qui offre de son oeuvre un panorama non exhaustif - l’intense Ivan le Terrible et son Fils Ivan n’a pu faire le voyage - mais splendidement éloquent.

Alors ? La première salle frappe fort avec, justement, Les Haleurs. L’avancée rude des hommes fourbus le long du fleuve est une magistrale composition, comme on en verra d’autres. Des corps tendus et au moins un visage inoubliable : celui du batelier affaissé qui du regard nous prend à partie. Mais l’arrière-plan du tableau n’est pas à la hauteur de ce morceau de bravoure. C’est malheureusement un problème récurrent avec Répine : ses fonds sont indignes.

Devant Procession religieuse dans la province de Koursk

Sauf dans Procession religieuse dans la province de Koursk, qui, dans la deuxième salle, est le clou indiscutable de l’exposition. Ce fleuve humain qui se dirige vers le coin inférieur droite de la toile, caravane religieuse et militaire, bourgeoise et éclopée, déplace un nuage de poussière brune qui donne son liant à toute l’image, une merveilleuse trouvaille de peintre. On regarde longtemps le tableau et on n’en finit pas de découvrir de nouvelles réussites, intrigantes comme les arbres coupés, captivantes comme le langage corporel des individus dans la foule.

Et dans ce chef-d’œuvre, l’idée à l’efficacité redoutable de pencher de quelques degrés la chasse dorée aux rubans flottants portée par les moines au premier plan. Le sensation produite sur le spectateur, celle du tangage de l’objet en mouvement vers l’avant de la route et l’extérieur du cadre, cristallise le génie de Répine : sa capacité à fixer un instant précis - et pas forcément significatif - dans un mouvement d’ensemble dynamique. Peindre des arrêts sur image. L’effet est imparable : on y est. C’est les formidables attitudes des enfants qui découvrent leur grand frère dans Ils ne l’attendaient plus et ce sublime dévoilement des jambes de la gamine ; les positions et les gestes des mains des Cosaques zaporogues… Des détails naturalistes qui ne signifient rien que de banal, mais qui sont les signes visuels de la suspension du temps - on parle de l’ordre de la demi-seconde - dans l’image.

Détail de Ils ne l’attendaient plus

Parce que c’est bien d’images dont il s’agit. La peinture de Répine, pleine de matière et d’empâtements, est solide, virile, vulgaire aussi. Elle est d’époque. Ses histoires sont tonitruantes et mélodramatiques, on plonge dans leur narration comme au spectacle. Dans Alexandre III recevant les doyens des cantons, le texte du discours du tsar est inscrit sur le cadre doré, dans le cartel : on a l’image et les sous-titres. C’est du cinéma.

Il y de très beaux portraits aussi - les enfants du peintre, Moussorgski, Tolstoï bien sûr… - et des croûtes de haut vol - sa fin de carrière est un naufrage - qui dressent au final le panorama d’un artiste aux prises avec son temps, étonnamment préoccupé de social dans un contexte académique qu’il malmène et dont les fulgurances bien réelles s’accordent à un métier de raconteur un peu roublard. Hier comme aujourd’hui, le public est conquis.

Détails de Les Cosaques zaporogues

Mes 7 stations de l’exposition :

Les Haleurs de la Volga, 1870-1873, Musée d’État russe, Saint Petersbourg

Procession religieuse dans la province de Koursk, 1880-1883, Galerie nationale Trétiakov, Moscou 

Sadko dans le royaume sous-marin, 1876, Musée d’État russe, Saint Petersbourg

Portrait de Modeste Moussorgski, 1881, Galerie nationale Trétiakov, Moscou

Les Cosaques zaporogues, 1880-1891, Musée d’État russe, Saint Petersbourg

Ils ne l’attendaient plus, 1884-1888,  Galerie nationale Trétiakov, Moscou

Portrait de Léon Tolstoï dans un fauteuil rose, 1909, Musée Tolstoï, Moscou

Ilya Répine (1844-1930), peindre l’âme russe

Petit Palais, Paris

du 05 octobre 2021 au 23 janvier 2022

Le texte ci-dessus ne reflète que mon avis personnel