Jacques Le Roux

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Degas : le chien et les papillons

L’exposition “Manet/Degas” au Musée d’Orsay nous permet de redécouvrir le chef-d’œuvre précoce de Degas après la restauration de ses déchirures et l’allègement de ses vernis : Portrait de famille - plus connu sous le titre La Famille Bellelli - qui date de 1858-1869, soit de la première période du peintre.

Portrait de famille (La Famille Bellilli) d’Edgar Degas, 1858-1869, Musée d’Orsay

Edgar Degas (1834-1917) l’a conçu et commencé en 1858 (il le terminera dix ans plus tard), alors qu’il est en voyage de formation à Florence. Là-bas, il loge chez sa tante, Laure de Gas, et le mari de celle-ci, le baron Genaro Bellelli. Le couple a deux petites filles, Giovanna et Giulia. Le tableau qu’il réalise révèle, au-delà des physiques de ses modèles, une profondeur psychologique inédite dans le genre codifié du portrait familial bourgeois. Et pour cause…

Au moment où Degas est l’hôte de sa tante, les choses ne vont pas bien dans le couple Bellelli. Tensions, frustrations et défiances créent une incommunicabilité entre les époux que le jeune homme de 24 ans ressent et observe. L’atmosphère est étouffante, les sentiments refermés. D’ailleurs, Genaro n’adresse pas la parole non plus à son neveu par alliance…

Cloué sur le mur, contraint dans son cadre comme les quatre personnages le sont dans leur pièce angulaire tapissée de papier bleu - la couleur de la mélancolie - , il y a le portrait dessiné du grand père de Degas, le père de Laure, qui baisse la tête dans une attitude résignée. C’est le patriarche, qui ne pourra rien raccommoder car il vient de mourir en 1858, l’année même de la création du tableau. Sa fille porte son deuil. Dans la famille Bellelli, la Mort s’est invitée avec sa lourdeur et son silence.

Et les deux petites filles de 7 et 10 ans, trop jeunes pour tout à fait comprendre, subissent et attendent, dans les postures improbables à l’équilibre instable, comme des amputées physiques autant qu’émotionnelles. Peut-être qu’un jour elles s’envoleront. Les tabliers qu’elles portent en donnent l’espoir, avec leurs silhouettes de papillons blancs. Pour l’instant, les deux papillons sont épinglés à la surface de la toile, comme dans ces collections d’insectes qu’on aime alors à présenter, chez les bourgeois, dans des cadres dorés. Du genre de celui du grand-père justement…

Puis un détail. On ne le remarque que quand on a déjà fait le tour du tableau. Discret dans le coin inférieur droit, le petit chien des Bellelli quitte la scène. Les animaux ont un sixième sens, ils sentent les choses et au danger, réagissent par instinct. Dans une idée de composition magistrale, brisant la rigide structure géométrisée de l’image, Degas montre l’animal de la famille s’enfuir. Du cadre irrespirable, lui s’est déjà à moitié échappé…

Des yeux, il est suivi par la petite Giulia.

Sur la cheminée, une bougie éteinte et une horloge.

Et dans le miroir, le reflet d’une fenêtre ouverte sur la nature.

Volez, papillons…

Exposition “Manet/Degas”

Musée d’Orsay

du 28 mars 2023 au 23 juillet 2023

Le texte ci-dessus ne reflète que mon avis personnel